Monday, July 24, 2006

NEW X-MEN, de Grant Morrisson & ASTONISHING X-MEN, de Joss Whedon (Marvel)


Le pompiérisme est quelque chose qui m'irrite au plus haut point. Peut-être parce que je trouve l'être humain trop minable pour prétendre à une quelconque grandeur, peut-être parce que ce n'est tout simplement pas ma tasse de thé. Mais je sais pas pourquoi, dans le contexte de comics de super-héros, je suis capable d'en prendre.

J'ai lu des comics de super-héros de ma tendre enfance jusqu'au début des années '90. Je n'ai pas arrêté parce que je suis devenu mature et que je me suis désintéressé à ces calembredaines, mais parce qu'à ce moment, les comics mainstream se sont tous donnés le mot pour devenir assez merdiques. L'influence de Rob Liefeld, Jim Lee et Todd McFarlane est venu tout polluer, c'est devenu le royaume quasi-exclusif de la poudre aux yeux et du spectaculaire cheap. Les filles, qui prenaient dans toutes les cases des poses sleazy en zigzag, avaient l'air faites en aluminium. Les hommes avaient toujours des grimaces de rage figées dans face et une musculature grotesque. La violence a monté de plusieurs crans et la crédibilité des personnages (même dans la logique permissive des univers super-héroïstiques) s'est complètement fait flusher. Et je passerai sur les mises-en-pages inutilement criardes et illisibles. Il n'y avait plus vraiment de numéros sans action, sans un nouveau personnage couvert de fusils ou avec plein de dents, etc. D'un ennui mortel. L'industrie a payé le prix de son racolage, de sa pensée à court terme et de son irrespect pour l'intelligence des lecteurs, elle s'est carrément effondrée.

J'ai quand même continué à fréquenter les comics shops pour acheter exclusivement des projets de l'équipe de Bruce Timm (Batman adventures, etc.), qui a ramené un peu de fun et d'élégance dans le monde des super-héros pendant cette période. Autour de 2000, j'entendais souvent parler que la situation s'était radicalement améliorée chez Marvel et DC, que les éditeurs avaient de nouveau compris l'importance d'engager de bons scénaristes et de les traiter comme un peu mieux que du bétail. Mais on m'avait trahi, jadis, et je n'avais pas vraiment envie de replonger dans le gouffre financier que représente un intérêt pour les super-héros.

C'est Fabrice Neaud qui m'a remis le nez dedans. Lors de mon séjour en France en 2004, il m'a beaucoup parlé du travail de Grant Morrisson sur X-Men (New X-Men 142 à 154). J'étais sceptique, mais comme j'ai été très attaché à cette galerie de personnages par le passé, ça a quand même piqué ma curiosité. Il m'a donc prêté la pile de comics en traduction française. J'ai tout lu en un temps record. Scénaristiquement, c'est un sommet. Morrisson a une écriture très savante. Il maîtrise l'art de l'ellipse, et joue avec la "tourne" ("punch" placé au moment de tourner la page) avec une maestria qui décroche la mâchoire. Son histoire est flamboyante, mordante, et socialement hyper-lucide. Il n'ésite pas à foutre par terre des piliers icôniques de la série. Sa manière d'être iconoclaste demeure toutefois très respectueuse du matériel qu'on lui a confié (contrairement à plusieurs adaptations cinématographique, notamment le pitoyable Fantastic Four). Heureusement, la run de Morrisson a été reprise en sept trade paperbacks, assez faciles à trouver. Et je pense que même avec une connaissance très minimale de la X-mythoiogie, on peut apprécier pleinement son travail. E is for Evolution est une mise en situation comme une bonne claque dans la face, ensuite, de volume en volume, Morrisson mets délicatement en place tous les éléments qui convergeront dans l'explosion de Planet X, apogée de toutes les apogées (note : Marvel a par la suite bousillé cette histoire en ressuscitant du monde avec des histoires pénibles de substitutions de personnages, mais bon...). Here comes tomorrow est un épilogue un peu superflu, mais quand même intéressant. Pour plus d'un, la chronologie des X-Men est désormais séparée en pré-Morrisson et post-Morrisson.

New X-Men
1) E is for extinction 9/10
2) Imperial 8,5/10
3) New Worlds 7,75/10
4) Riot at Xavier's 8,25/10
5) Assault on weapon plus 7,75/10
6) Planet X 9/10
7) Here comes tommorrow 7/10

Évidemment, quand on fait l'expérience d'un travail aussi fort, on peut croire qu'on va retrouver un plaisir de lecture semblable avec d'autres histoires. Et on n'a pas tout-à-fait tort. L'ère Morrisson a substantiellement relevé la barre de qualité chez Marvel. Sur X-Men, le flambeau a été repris par mon idole : Joss Whedon (Firefly, Buffy & Angel, si vous avez des préjugés sur ces séries télé, vous avez tort), qui fait un boulot plus qu'admirable (Astonishing X-Men 1 à 18), en maintenant la tension et la narration elliptique qu'on retrouvait chez Morrisson, mais en ajoutant son sens de l'humour plus... disons chaleureux. Il a été tenu par l'éditeur de ramener les costumes en spandex que Morrisson avait judicieusement supprimé, mais il l'a fait avec intelligence, et on fait vite le deuil des costumes Matrix de la run précédente.

Astonishing X-Men
1) Gifted 8,75/10
2) Dangerous 7,75/10
3) Torn (à paraître) N/A

J'ai aussi essayé les Ultimates de Mark Millar et Brian Hitch (trois paperbacks à date), dernièrement. J'ai aimé ça, mais je ne me sentais pas autant à ma place dans ce monde de super-héros militaires, populaires, backés par le gouvernement américain. Je suis plus sensible à la marginalité relative des X-Men. De plus, je n'ai pas digéré une certaine blague sur la France, mais c'est néanmoins très, TRÈS habilement écrit et construit. Les personnages sont loin d'être botchés, et les situations peuvent être assez inusitées. Et Bryan Hitch, le dessinateur, a une technique de cadrage et de profondeur de champ qui me laisse pantois. C'est drôle, parce que Hitch a commencé comme une tentative de clône d'Alan Davis sans grand intérêt, mais il a connu une évolution fulgurante depuis. L'adaptation en dessin animé (Ultimate Avengers: The movie) est une abomination, qui enlève tout ce qu'il y a d'intéressant (dont le sous-texte politique) parce que ça s'adresse à un public plus jeune, tout en conservant un degré de violence assez intense. Donc, selon les gens derrière ce film, les enfants sont trop idiots pour apprécier une écriture riche, mais assez matures pour voir du monde se faire zigouiller à tout bout de champ ? Pas glop.

The Ultimates
1) Super-Human 7/10
2) Homeland security 6,75/10
The Ultimates 2
1) Gods & Monsters 7,25/10
2) (à paraître) N/A

Je n'ai pas une position sur les super-héros aussi acide que celle de Daniel Clowes ou de Chris Ware. Je comprends leur fascination/aversion, mais pour moi, ce n'est pas qu'affaire de fantasmes de petits graçons qui ne peuvent faire l'expérience de la virilité et du pouvoir que par procuration. Et même si c'était le cas, je ne vois pas là matière à ricanements. Et bien sûr, je suis conscient des effets dégueulasses de la survalorisation de l'héroïsme galvanisant, des sentiments supposément nobles, du self-righteousness de meeeeeerde, de la stupide dichotomie bons/méchants (de l'existence même de "méchants", parce que tout le monde a ses raisons), du courage, du dépassement de soi, de la banalisation de la violence, et de tout l'endoctrinement militariste de droite qui peut se cacher sous ces douillettes couvertures, mais plusieurs auteurs actuels semblent aussi conscients de ces problêmes, et ils jouent avec, les interrogent. Comme j'ai connu assez tôt ces histoires de surhommes illusoires en collants colorés qui sauvent le monde, je ne les trouve pas automatiquement ridicules. Je suis assez bon public pour ces soap operas oniriques. Comme c'est le cas pour Buffy et Angel, les scènes de combats m'indiffèrent un peu, en fait, elles m'intéressent beaucoup sur le plan abstrait, chorégraphique, formel, symbolique, mais le surge d'adrénaline que procure la bastonnade n'est pas ce que je recherche en priorité, alors que pour certains, ça semble être l'intérêt principal, étrangement. Pour moi, les monstres et les conflits sont surtout là pour soutenir le souffle opératique de ces séries sans fin (procédé narratif cher à mon autre idole : Jean-Claude Forest, malgré son exploitation mercantile perverse). L'intrigue, pour moi, n'est rien de plus que la carotte qui fait avancer l'âne sur le chemin. Le vrai intérêt (le chemin lui-même) se situe plutôt du côté de la FORME, des ambiances, de la profondeur des lieux représentés, des personnages et des relations entre ceux-çi. Je sais pas, pour moi, imaginer quelqu'un voler, ou qui a eu tellement mal dans la vie qu'il ne peut recouvrer sa dignité qu'en endossant un costume grotesque et en se baladant la nuit sur les toits d'une mégalopole décadente, je trouve ça poétique, et pas si quétaine. Et je suis suffisamment fasciné par la représentation du corps humain pour apprécier le spandex, et en plus, c'est chouette à dessiner. J'imagine assez bien Cocteau raconter une histoire de super-héros. Sans parodie, bien sûr.

J