Monday, February 11, 2008

Woody Allen et l'aide humanitaire


Je suis rentré de ma résidence angoumoisine, en 2005, dégoûté de mes tics d'auteur. Le côté bon enfant, politiquement correct, mignon, précieux et moraliste de ce que je fais me sortait par les oreilles. J'ai délaissé mon amour de la discrétion et de l'understatement pour me nourrir d'excès. J'ai plongé dans les univers oniriques, démentiels et hystériques de l'esthétique pulp (super-héros, films de genre...). Culture moins prétentieuse et tout aussi riche que l'officielle si on sait bien la lire, une culture qui fait appel à l'émerveillement naïf, mais surtout au subconscient (je me méfie beaucoup de ce qu'on appelle l'imaginaire, en revanche, j'ai toujours accordé une grande valeur à la naïveté). Ça a donné le matériel que j'ai recueilli dans Appalaches et sur ce blog. Mais mes tentatives d'aller à fond dans ces domaines (je veux dire : faire un vrai livre) n'ont jamais été bien loin. Je me tanne généralement après un dessin ou deux, qui rassasient mon besoin d'exploration "imaginaire".

Je ne cherche pas vraiment le divertissement dans le pulp. J'essaie d'apprécier ces oeuvres au-delà des petits conflits qui animent le premier degré (en fait, plus le premier degré est raté, moins on perd du temps avec celui-ci, alors vivent les martiens en caoutchouc et le stop-motion et à bas le CGI et l'asti de musique de John Williams). Tant mieux si ces couches de sens échappèrent à leur créateur, elles n'ont que plus de valeur si elle sont involontaires et demeurent insaisissables. MAIS, mais, mais, il faut être vigilant avec le genre. Sa perversion est de nous montrer que notre vie est minable (même si c'est vrai, ce n'est pas vérité bonne à dire, puisqu'elle ne mène qu'à l'enlisement, c'est pas une critique consructive). Elle nous rappelle que nous sommes touts petits, assis sur le divan, à engraisser monstrueusement alors que Jack Bauer, lui, court dans tous les sens pour sauver le monde. Car on glisse facilement des efforts sympathiques et fascinants des George Pal, Ray Harryhausen, Jess Franco et Irwin Allen , de l'écriture pop raffinée de Joss Whedon, de J. Michael Straczynski, de Paul Jenkins, de Grant Morrisson et d'Ed Burbaker, à la médiocrité sidérale de la sére 24. Oui, malgré mes soupirs d'exaspération (probablement à l'origine de l'asthme qui m'accable présentement), je la regarde à cause du cheap thrill exacerbé qu'elle procure, ce qui a le même effet suicidaire que de manger 24 grosses poutines en ligne, chacune accompagnées d'un gallon de Coke. On en ressort avec un dégoût de soi absolu. Et on embarque dans le jeu des petites frustrations culpabilisantes qui nous poussent à penser que la seule et unique manière de donner un sens à notre vie et de contribuer positivement au monde est d'aller faire de l'aide humanitaire en Afrique.

Pendant ces trois dernières années, cette démarche m'a fait glisser sur une pente dangereuse, celle de la paresse intellectuelle. Je me suis laissé divertir par ces machinations de suspense, et galvaniser par cet héroïsme factice, et ma recherche de degrés poétiques cachés est devenue une petite excuse faux-cul pour me laisser bercer par cette culture bonbon. Où est le mal là-dedans ? On n'a qu'une vie, et entre divertissement et diversion, il n'y a pas grand différence. Ces diversions volent notre temps (en plus d'endoctriner les ingénus dans des modes de pensée binaire de droite qui me font vomir), mais l'état d'aliénation dans lequel nous laissent le travail et autres obligations financières nous les rend nécessaires.

Dernièrement, je suis retourné vers mes bases : Allen, Lubitsch, Wilder, Sautet, Truffaut (et je suis tombé sur un bijou insuffisamment encensé : The Moon & Sixpence, très écrit, mordant, avec le formidablissime George Sanders)... quel bonheur ! Comme si après m'être ré-accoutumé au chocolat cireux Cadbury, je revenais au Geneviève Grandbois. Ce besoin de soupape onirique pop est chez-eux pris en considération, mais d'une manière saine, antigavante. Hier, j'ai regardé (ça faisait longtemps) A Midsummer's Night Sex Comedy, et j'ai eu l'impression qu'un bon copain me replaçait dans mes souliers. Qu'il me rappellait ma "mission". Comme lorsque je l'ai découvert à 18 ans, Allen me rappelle que ma vie sentimentale, mes relations humaines (enfin, ce qu'il en reste), forment une aventure extraordinaire. Malgré ses défauts, malgé son écriture pas aussi profonde que celle de ses maîtres, malgré son cuteness, malgré son côté un peu creepy, malgré le jeu souvent artificiel de ses acteurs (que je prends, comme chez Godard, comme un pacte de reconnaisance de l'artifice inhérent au médium), Woody Allen (et ces autres fées marraines que j'ai nommées plus haut), c'est aussi de l'aide humantaire. Pas pour les horreurs de ce monde, mais pour ses misères (tout ce qui n'est pas horrible est misérable, n'est-ce pas ? --wink wink--). Un baume à l'immense détresse de la classe moyenne occidentale qui s'emmerde, qu'on a trahi, entubé, qui vit actuellement tout son affect à travers des écrans HD, qui automythologise le peu qu'il reste de son identité (via FaceBook, MySpace, le Blog et la bande dessinée autobiographique) et qui souffre de dépendances exponentielle aux gadgets qui lui volent tout son temps et son argent et qui ne combleront jamais les vides laissés par ce qu'elle a perdu.

Je ne sais pas si ce film m'a enfin réconcilié avec ce que je fais, mais j'ai pas dormi de la nuit. Complètement survolté, ivre d'optimisme.

Jimmy