Artcile sur la bande dessinée dans le Journal de Montréal d'hier (repris dans le Journal de Québec). Comme toujours, je me réjouis qu'on parle de notre travail, et on peut pas dire que j'aie été oublié par cet article (l'article est, en plus, accompagné d'un dessin assez rigolo reproduit ci-dessus), mais j'y suis, comme d'habitude, un peu cité de travers. C'est pas grave, on ne va pas être désagréables pour si peu, c'est pas la France, ici, mais rien ne m'empêche de profiter de la modeste tribune que m'offre ce blog pour clarifier ce que je voulais dire. La plupart des mots qu'on me prête dans cet article sont les miens, mais mis hors-contexte ou déplacés dans un autre, de contexte, ça me fait dire de drôles de choses.
- «Ce qui limite depuis le début le développement de la bande dessinée, c’est qu’elle n’est pas considérée comme un art noble. Dans la perception des gens, elle n’est pas comparable à la littérature, par exemple». Je n'aurais pas parlé de ça «d'entrée de jeu». C'est un discours geignard et obsolète que je laisse volontiers à d'autres. Précisons d'abord qu'il ne s'agit pas de «début de développement de la bande dessinée» comme médium. Je ne pense pas que le manque de prestige peut entraver de quelque manière que ce soit un travail artistique (en tout cas, ça n'a jamais empêché Herriman, Joly, Forest et les autres de faire ce qu'ils avaient à faire), ce dont nous parlions, M Fortin et moi (lors d'une fort sympathique conversation), c'était du sort de la bande dessinée dans les médias québécois. Il me parlait d'auteurs qu'il avait entendu se plaindre de la quasi-absence d'échos journalistiques dont leur travail faisait l'objet, et j'acquiescais en citant deux exemples qui en disent long sur la bande dessinée québécoise vue depuis notre cher establishment babyboomer (qui est sur le bord de la retraite, patience...) : 1) «La bande dessinée n'est pas un art noble, on n'a pas de place pour ça.» (réponse de la direction du Devoir à Denis Lord, critique qui voulait passer des papiers un peu plus étoffés) 2) «Ton auteur, il ne publie pas en Europe, donc il n'est pas intéressant pour nous.» (réponse d'un journaliste de Radio-Canada à Pierre Frisko, recherchiste qui proposait un topo sur mon travail. --vous conviendrez que plus colonisé que ça, tu meurs--). Ce qui nous amène à la prochaine citation.
- «À bien des égards, c’est encore pire au Québec, où certains adoptent une mentalité de colonisés en comparant systématiquement nos œuvres avec celles qui viennent d’Europe » Le «colonisé» vient de l'anecdote de Pierre Frisko, quant au reste, je ne vois pas bien ce que j'ai pu dire dans ce sens. Pour nous, auteurs, ce serait la pire des attitudes que de quémander l'indulgence patriotique ! Au contraire, comparez-les, nos livres, avec les européens, les américains, les japonais, vous allez voir qu'on est dans'game !
- «Internet est une voie qu’il faut explorer pour solidifier le milieu. On y trouve maintenant toute une communauté d’auteurs qui y échangent des idées. Il y a aussi une complicité entre plusieurs disciplines dites alternatives, et le Web devient le rendez-vous des auteurs, illustrateurs et musiciens» Bon. «De l'espoir dans internet» est déjà un peu fort. Là, on parlait de la proportion de manuscrits qui me sont soumis qui se font finalement publier. Et j'ai répondu que je n'avais publié qu'un seul manuscrit soumis (Burquette). Le reste avait été découvert soit par des réseaux d'amis, soit par les fanzines, soit (surtout) par les blogs. Et oui, je pense qu'internet favorise une certaine vie communautaire et autres sains croisements interdisciplinaires, ce qui favorise l'élargissement de notre public, vu qu'on ne s'adresse pas au ghetto traditionnel de la bande dessinée, mais aux gens curieux en général (je pense que je partage plus de «public» avec Malajube et Stéphane Dompierre qu'avec Jean Van Hamme et Jim Davis). La citation est donc assez juste, mais pour moi, internet n'est pas une miraculeuse voie alternative d'évolution pour le médium. Des bons souvenirs de livres lus sur mon divan, dans un parc, sur la bolle, j'en ai plein !!! Mais des bons souvenirs de lecture sur internet, franchement, j'en ai aucun. Même si j'y ai lu des chefs-d'oeuvre, des textes important, et que j'y passe (perds) de plus en plus de temps. Pour moi (je suis peut-être juste un vieux schnock), l'expérience de lecture à l'écran est incomparable avec celle du livre. Et j'espère que pour préserver les ressources de papier, on va interdire les Publi-sacs et les revues hebdomadaires sur l'anorexie des vedettes avant de nous interdire de faire des livres.
- «Et pourquoi ne pas encourager davantage les adaptations télévisées? La bande dessinée est un médium qui ressort tellement bien à l’écran» Encore là, on parlait de traitement journalistique. Je voulais dire qu'un topo sur un dessinateur, c'est du bonbon pour la télé. Voir quelqu'un en train de dessiner, à l'écran, c'est un moment magique et il est bien dommage que nos stations de télé en profitent si peu ! Jamais l'idée de faire une série télé adaptée de nos livres ne m'a traversée l'esprit.
- «Pour un auteur de bande dessinée qui connaît du succès, il devient rapidement avantageux de signer en France. Les conditions financières et les tirages sont à des années-lumière de ce qu’on offre chez nous. Prenons par exemple un auteur québécois comme Jacques Lamontagne, qui est maintenant publié en France. Il ne pourrait pas faire de bande dessinée à temps plein s’il avait signé avec une maison d’édition québécoise» Ça, grosso-modo, c'est quelque chose que j'ai pu dire (quoique je ne me souviens pas d'avoir mentionné Jacques Lamontagne, dont nous allons ironiquement publier une nouveauté cet automne). Idem pour «Évidemment, il ne faut pas leur en vouloir. Pourquoi un auteur publierait-il au Québec quand on sait qu’il devrait diviser ses revenus par quatre en comparaison avec la France?», mais c'était pour répondre à la question de M Fortin : «Mais pourquoi vous faites juste de la bande dessinée personnelle ? Artistique ? Pourquoi si peu de bande dessinée d'approche populaire sont-elles éditées au Québec ?»
- «Les bandes dessinées d’aventure proviennent principalement d’Europe. Celles sur les superhéros sont une spécialité des États-Unis. Briser ce moule va s’avérer difficile, voire impossible» Je n'ai pas dit ça. «La réalité, au Québec, c’est que dans ces styles populaires, je peux seulement publier ce qui a été refusé ailleurs, soit en Europe et aux États-Unis» Ah ! Ça, c'est juste. Il faut aussi ajouter que dans le domaine de la bande dessinée «d'auteur», ou mettons «contemporaine», l'auteur n'a financièrement pas tant que ça à gagner à publier à l'étranger, les chiffres sont plus comparables. Ça explique pourquoi c'est devenu une spécialité locale (dans laquelle on sen vient pas mal pas pire !!!).
- «Le plus gros travail à faire sera de développer une fierté pour notre bande dessinée locale, qui, pour ce qui est de la qualité, est tout à fait comparable à ce qui provient de l’étranger» Oui, mais on ne développera pas de fierté en implorant la pitié. On ne veut pas être perçu comme un «marché émergent en difficulté». Même s'il y a du vrai là-dedans, on s'en fout. La bonne surprise de la progression phénoménale que la bande dessinée québécoise a connu dans les dix dernières années est nettement plus frappante et digne de mention que les quelques vieux obstacles rabougris qui jonchent encore son parcours. Le «message» que je veux passer, c'est : «Si vous ne vous intéressez pas à la bande dessinée québécoise, TANT PIS POUR VOUS ! Vous êtes en train de manquer un osti d'bon show !».
- Ah ! Et on ne sort pas 12 titres tous les ans ! Ça, c'était en 2006 et c'était complètement fou ! Pas besoin des autres pour avoir de la concurrence quand on sort des livres à ce rythme. Si on compte tous les titres des 400 coups, ça tournerait autour de 10 par an.
Dans les autres classiques de la citation un peu croche, il y avait Patrick Caux, dans le Voir Québec, il y a quelques années (Patrick est un vieil ami, hein, je précise). Je lui avais cité François Truffaut, que j'avais entendu peu de temps avant, sur un bonus de DVD d'un Antoine Doisnel, dire (au sujet de la «nouvelle vague») : «On ne veut pas réinventer le cinéma, il est très bien comme il est, le cinéma, on veut juste en faire avec un peu plus d'honnêteté.» Je trouvais que ma vision de ce qu'on fait chez MG collait à ce «mission statement». Dans le Voir de la semaine suivante, il me faisait dire : «On veut faire avec la bande dessinée ce que Truffaut a fait avec le cinéma.» Ce qui n'a pas, vous remarquerez, la même modestie...
Et un autre, pertinent, tant qu'à y être : Dans le numéro spécial d'Entre les lignes du printemps passé, l'article de Myra Cliche se terminait sur une citation de Fred Gauthier et de moi, qui disaient d'un commun accord que pour «rejoindre un plus large public, on allait être obligé de faire de la bande dessinée de genre/populaire.» (je cite de mémoire, et probablement tout croche moi aussi). Au Québec, la bande dessinée de genre, stéréotypée, n'a jamais été forte forte, et a) je ne vais pas me battre pour son essor, b) il serait sot de penser que là est notre salut mercantile, et c) travailler dans un domaine artistique marginal avec comme but ultime le succès commercial, et tenter d'assujettir le travail des artistes à ces visées, est quelque chose de complètement absurde. Non, en fait, pour moi, faire du «genre» est un acte subversif. Si je voulais que mes affaires «marchent» tant que ça, je ferais du Moral des troupes à la chaîne. Des livres intimistes, accueillants mais un peu edgy, mélancoliques, avec un humour en sourdine, doux-amers, avec des gros gâteaux au chocolat à la fin pour en faire des beaux cadeaux de noël. Je publierais ça chez Zombituropolis et ce serait la fin de mes troubles financiers. Seulement voilà, UNE FOIS QUE LA RECETTE EST ÉCRITE, ELLE N'EST PLUS INTÉRESSANTE. Been there, done that. Faire du «genre» à ma manière, comme dans Appalaches, Au lit, les amis et sur ce blog, c'est refuser de participer à la transformation du «roman graphique» en produit culturel prévisible et ennuyeux. C'est ce que j'expliquais à Myra, la réponse à l'impasse du highjacking du «roman graphique» par les tâcherons gentillets qui l'ont tué est dans la célébration du mauvais goût.
Loin de moi l'idée d'adresser des reproches è ces journalistes. À qui n'a jamais péché de lancer la première pierre. Je ne vois aucune mauvaise foi ni laxisme sous ces interprétations dans le beurre, mais on voit un bel exemple de la difficulté de communiquer une idée en ce bas monde, difficulté grassement amplifiée lorsqu'on doit passer par un intermédiaire coincé dans les deadlines et l'espace restreint d'un journal, pogné pour résumer de longues conversations passionnantes en trois mots. Fût-il motivé par les meilleures intentions.
Autre chose : j'ai enfin (...mais ENFIN !!!) remis Tantrum et Par un fil à l'imprimerie ! Ils risquent toutefois d'être là pour plus longtemps que prévu, notre imprimeur étant débordé. Si Par un fil a été une job d'édition fort agréable à faire (surtout parce que Jean-Nicolas Vallée est pas mal easygoing, comme bonhomme), Tantrum m'a donné beaucoup de fil à ret... euh, non je ne ferai pas ce jeu de mots idiot. Désolé. Enfin, vous verrez quand il sortira, ou non, en fait. Si vous voyez ma job, c'est que je l'ai mal faite, le succès d'un re-lettrage s'évaluant à sa capacité de camouflage. Je ne prétends pas avoir fait une job parfaite, mais j'ai essayé fort. On a signé Tantrum en 2004, et il sort seulement à la rentrée 2008. C'est épouvantable ! Le retard est explicable parce que les livres de copains et copines ont tendance à passer en premier (une éthique, voire une hygiène de travail que je compte bien maintenir), et aussi parce que j'étais intimidé (c'est pas tous les jours qu'on a la chance d'éditer un livre qui figure dans notre top 3 à vie) et que je voulais faire du bon travail. Et avec la super traduction de David Turgeon et de Josiane Robidas, et mes plus beaux efforts sur le lettrage et le design, j'pense qu'un «high five» est de mise. M'aintenant, faut que je m'occuppe du Chartier, qui n'est ni en avance ni avancé...
Quoiqu'il en soit, je suis très content de ces deux bouquins et j'ai bien hâte qu'ils soient lâchés dans la nature.
Bon ben bien heureux d'avoir passé ce moment avec vous,
à bientôt,
Jimmy
P.S. : Jean-Nicolas se starte un blog tout décousu (à qui je souhaite longue vie !).