Thursday, September 14, 2006

pépés


J'ai un nouveau livre de chevet, que je n'arrête pas de consulter compulsivement : Dear John, the Alex Toth doodle book. Luc Giard me l'avait mis de côté dans une librairie qu'on fréquente (Studio 9, coin St-Hubert/Rosemont), et j'étais bien content de le découvrir, ce petit livre paru quelques mois après la mort de Toth (non, ce n'est pas un truc opportuniste, il était annoncé avant sa mort). C'est le genre d'ouvrage qu'on voit trop rarement, miraculeux, qui regroupe des paquets de dessins libres, de la correspondance, des extraits de bande dessinée et toutes sortes d'expériences. J'ai hésité avant de le lire. Toth a projeté, pendant les dernières années de sa vie, une image de vieux grognon qui ne jurait que par Milton Caniff, et le milieu semblait déçu par sa personnalité aigrie. Mais au contraire, le Toth intime qu'on découvre dans les pages de ce livre est très attachant. Un artiste très drivé, capable d'auto-dérision, passionné par son art/métier, certes sévèrement critique face à la bande dessinée moderne, mais pas plus que moi. J'ai été agréablement surpris de découvrir qu'il était fan des excellents Rubber Blanket de David Mazzucchelli, et qu'il lisait Love & Rockets et la revue Drawn & Quarterly.

Toth est fascinant à lire, évoquant des anecdotes avec ses vieux copains Caniff et Frank Robbins, (qui devint aveugle avant de mourir) , pognant les nerfs à propos d'un lettreur qui travaille mal (le lettrage à la machine qu'on trouve de nos jours n'a pas dû aider sa santé), répétant sans cesse la citation du violoniste Isaac Stern : "Make it simple so you can't cheat". Pour lui, la simplicité et la lisibilité ne sont pas qu'un choix esthétique, c'est une éthique de vie.


Le livre est vraiment chouette à tenir, et à feuilleter dans tous les sens. La mise-en-page m'énerve un peu, par contre. C'est l'exemple même de la job de graphiste qui veut prendre toute la place alors qu'il devrait mettre en valeur les images publiées. On ne publie pas le roi du noir et blanc avec des petits dégradés photoshop dans les marges (qui empiètent sur les dessins ! Come on !) et des petites textures en dessous. L'extrême élégance du trait inimitable de Toth est ternie parce que scannée en grayscale (quand il n'y a pas de tons de gris, scannez en bitmap à 1200 dpi, les gars). C'est dommage, mais on ne peut pas demander la lune, apparemment. L'éditeur fait preuve d'aplomb en publiant ce livre, et je le félicite et le remercie malgré ces quelques défauts.

Je serai toujours impressionné par le travail des samuraïs de l'anatomie dessinée que sont Toth ou Paul Cuvelier, Robert McGinnis, Raymond Poïvet (cool site), Jean-Claude Forest (qui écrivait encore mieux qu'il ne dessinait), ou même René Follet et Paul Gillon (avant qu'il ne soit aussi violemment désservi par les couleur à l'ordinateur). Il n'y a pas que ces dessinateurs réalistes qui m'impressionnent, (il y a la catégorie Sempé, Ronald Searle, Ludwig Bemelmans (allez voir son fabuleux "Hotel splendide"), Miroslav Sasek, Jules Feiffer, Gus Bofa, Quentin Blake, Noel Sickles, MAAAAAN ! ... et on peut passer une vie à en découvrir d'autres (Russell Patterson ??!!!????!!!???) mais c'est une autre histoire.

J'veux dire, dans les années '30-'40, n'importe quel dessin (rarement signé) trouvé dans n'importe quel magazine vaut de l'or. Aujourd'hui, c'est pas moins bien, mais je trouve que ça n'a pas souvent le même niveau de draughtsmanship (c'est pas ce qu'on cherche non plus). Allez voir le site de mon ami Paul Giambarba : 100 years of illustration, dans lequel il répertorie des maîtres du dessin (il a eu l'étourderie de me mettre dans le tas, c'est un peu intimidant). Ce monsieur a fait les designs d'emballage de Polaroid de 1957 à 1977, il fait aujourd'hui des aquarelles absolument superbes.

Je me demande pourquoi il n'y a plus de dessinateurs réalistes de cette trempe, avec ce niveau de raffinement. Maintenant, je pense qu'on n'a juste plus le temps pour développer un coup de crayon/pinceau de cette classe. Aujourd'hui, on marche exclusivement à la stamina. Il y a aussi que pour eux, le dessin était un métier comme les autres. Aujourd'hui, on peut avoir l'impression d'être une nuisance dans la société, quand on fait nos petits dessins, tandis qu'à l'époque, les journeaux et magazines donnaient du boulot à profusion à ces artistes. Ça sert strictement à rien de se lamenter que c'était donc ben mieux avant, par contre. Je vais laisser ça à Seth et Richard Langlois. Les choses ont changé, on va essayer de faire de notre mieux dans le contexte, mais ces bonhommes demeurent une belle source d'inspiration (pas dans le sens qu'on va copier dessus, mais dans le sens qu'on va essayer fort fort d'atteindre leur cheville avant de mourir).

hasta !

J